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mardi 25 juin 2013

Pourquoi ne pouvons-nous pas vivre dans la paix ?

 

Pourquoi ne pouvons-nous pas vivre dans la paix ?



Il paraît étrange que nous ne puissions trouver une façon de vivre où il n’y ait ni conflit, ni souffrance, ni confusion, mais au contraire une abondance de joie et de bienveillance. Nous lisons des livres, œuvres d’intellectuels nous proposant des organisations économiques et morales de la société. Nous nous tournons aussi vers des ouvrages écrits par des théologiens, personnages religieux ayant leurs idées de prédilection et se complaisant à de nombreuses spéculations.
Apparemment, il est difficile pour la plupart d’entre nous de découvrir une manière de vivre qui soit vivante, paisible, pleine d’énergie et de clarté et où l’on ne dépende pas d’autrui. Nous sommes censés être des gens mûris et sophistiqués. Ceux d’entre nous qui sommes plus âgés avons assisté à deux épouvantables guerres, à des révolutions, des soulèvements, et à la souffrance sous toutes ses formes. Et pourtant nous voici, par une belle matinée, parlant de toutes ces choses, attendant peut-être qu’on nous dise quoi faire, qu’on nous indique une façon pratique de vivre, de suivre quelqu’un qui nous donne une clef à la beauté de la vie et à une grandeur qui dépasse la routine quotidienne.
Je me demande - et vous aussi peut-être - pourquoi nous écoutons les autres. Pourquoi ne pouvons-nous pas trouver la clarté par nous-mêmes dans notre propre esprit, dans notre propre cœur, et sans aucune déformation ; pourquoi devons-nous être si encombrés de littérature ? Ne pouvons-nous pas vivre pleinement, sereinement, dans une grande extase et véritablement en paix ? Notre état de choses me paraît très étrange, mais il est ce qu’il est. N’avez-vous jamais considéré si vous ne pourriez pas vivre d’une vie complètement dépourvue d’efforts et de luttes ? Nous faisons sans cesse des efforts pour changer ceci, pour transformer cela, pour supprimer une chose, en accepter une autre, pour imiter, pour mettre en pratique certaines formules et certaines idées.
Je me demande si nous nous sommes jamais préoccupés de savoir s’il est possible de vivre sans conflit - non pas pour cela nous retrancher dans un isolement intellectuel ou dans une ambiance émotive, sentimentale et brouillonne. Mais au contraire de vivre sans aucun effort du tout. Parce que l’effort, si agréable (ou désagréable), si satisfaisant ou si profitable qu’il soit, fausse et déforme l’esprit. C’est comme une machine qui fonctionne tout le temps avec frottement et jamais tout uniment et qui, ainsi, se détruit rapidement par l’usure. Alors on se pose la question - et il me paraît qu’elle en vaut la peine – la question de savoir s’il est possible de vivre, tout effort étant éliminé, sans pour cela tomber dans la paresse, l’isolement, l’indifférence, l’insensitivité, la torpeur. Toute notre vie, depuis l’instant de notre naissance jusqu’à celui de notre mort, se passe dans une lutte interminable pour nous adapter, nous modifier, pour devenir quelque chose. Et cette lutte, ce conflit engendrent la confusion, émoussent l’esprit et nos cœurs deviennent insensibles.
Donc, est-il possible - non pas en tant qu’idée, ou comme une chose sans espoir, au-delà de notre portée - de découvrir une façon de vivre sans conflit, non seulement superficiellement mais encore dans les profondeurs de l’inconscient, dans la profondeur de nous-mêmes ? Ce matin nous allons peut-être pouvoir pousser ’cette question très avant. Et tout d’abord, pourquoi inventons-nous des conflits, agréables ou pénibles, et est-il possible d’y mettre fin ? Pouvons-nous y mettre fin et vivre d’une vie entièrement différente, disposant de la plus grande énergie, la plus grande clarté, la plus grande vigueur intellectuelle, la raison, et avoir dans le cœur une abondance d’amour dans le vrai sens de ce mot ? Il y a lieu, me semble-t-il, d’appliquer notre esprit et notre cœur à cette question, à nous en pénétrer complètement.
Le conflit existe évidemment en nous à cause de nos contradictions intérieures, lesquelles s’expriment extérieurement dans la société, dans les activités du « moi » et du « non moi » ; autrement dit, du « moi » avec toutes ses ambitions, ses élans, ses recherches, ses plaisirs, ses anxiétés, sa haine, sa compétition, sa peur, et de l’cc autre » qui est le « non moi ». En face de cela il y a cette idée d’une existence sans conflits, sans désirs, sans recherches, sans poussées contradictoires. En prenant conscience de notre état de tension, nous pouvons contempler tout le tableau en nous-mêmes, les crispations issues d’exigences contradictoires, de conscience, d’idées, de recherches opposées.
C’est cette dualité, cette opposition dans nos désirs, avec leurs craintes et leurs contradictions, qui entraînent le conflit. Il me semble que ceci est assez clair quand nous observons la chose en nous-mêmes. Ce thème se répète sans cesse, non seulement dans notre vie quotidienne, mais encore dans la vie religieuse - entre le paradis et l’enfer, le bien et le mal, le noble et l’ignoble, l’amour et la haine et ainsi de suite. Si je puis vous le suggérer, je vous en prie, ne vous contentez pas d’écouter les paroles, mais observez-vous vous-mêmes, sans analyser mais utilisant l’orateur comme un miroir dans lequel vous pouvez vous contempler réellement, prenant ainsi conscience du fonctionnement de votre esprit et de votre cœur, tandis que vous regardez dans ce miroir. On peut voir comment la division sous toutes ses formes, la séparation ou la contradiction en soi-même ou en dehors de soi-même, suscitent inévitablement un conflit entre la violence et la non-violence.
Ayant constaté cet état de choses tel qu’il existe vraiment, est-il possible d’y mettre fin, non seulement au niveau superficiel de notre conscience, dans notre vie quotidienne, mais aussi très profondément aux racines mêmes de notre être, de sorte que n’existent plus aucune contradiction, plus d’exigences ou de désirs en opposition, plus d’activité de l’esprit dualiste ? Comment faire ? Nous cherchons toujours à jeter un pont entre le « moi » et le « non moi » - le « moi » avec ses ambitions, ses élans, ses contradictions, et le « non moi » qui est l’idéal, la formule, le concept. Nous cherchons toujours à jeter un pont entre ce qui est et ce qui devrait être ; et par là, donnons naissance à un état de contradiction et de conflit où se perdent toutes nos énergies. Notre esprit peut-il cesser de diviser, ne peut-il pas demeurer complètement avec ce qui est ? Et dans la compréhension de ce qui est, subsiste-t-il un conflit quelconque ?
Je voudrais approfondir cette question, la voir sous un jour différent dans ses rapports avec la liberté et la crainte. La plupart d’entre nous avons soif de liberté, bien que nous vivions dans une activité égocentrique où nous passons nos journées penchés sur nous-mêmes, nos échecs, nos accomplissements. Nous voulons être libres - non seulement politiquement, ce qui est comparativement facile, à l’exception du monde des dictatures - mais libres aussi de toute propagande religieuse. Toute religion, ancienne ou moderne, est l’œuvre de propagandistes et n’est par conséquent pas une religion. Plus on est sérieux, plus on s’intéresse à la qualité de notre vie, plus on recherche la vérité et plus on met en doute sans accepter, sans croire. On veut être libre dans le but de découvrir si la réalité existe, s’il existe quelque chose d’éternel, d’intemporel ou non. Il y a cet extraordinaire besoin d’être libre dans tous nos rapports. Mais en général cette liberté devient un processus d’auto-isolement et n’est par conséquent pas la vraie liberté.
Même notre besoin de liberté est empreint de peur. Parce que celle-ci peut signifier une insécurité complète et absolue, et cette insécurité nous paraît redoutable. Elle nous semble être une chose très dangereuse - chaque enfant aspire à la sécurité dans ses rapports avec l’extérieur. Et à mesure que nous vieillissons nous continuons à aspirer à la sécurité, à la certitude dans tous nos rapports avec les objets, les gens et les idées. Ce besoin de sécurité engendre inévitablement la peur et, ayant peur, nous dépendons de plus en plus des choses auxquelles nous sommes attachés. C’est ainsi que surgit la question de la liberté et de la peur, et on se demande s’il est le moins du monde possible d’être affranchi de cette peur, non seulement physiquement mais psychologiquement, non pas superficiellement mais encore dans les recoins les plus obscurs et les plus profonds de notre âme, dans ces mêmes recoins secrets qui n’ont jamais été pénétrés.
L’esprit peut-il être entièrement et complètement affranchi de toute angoisse ? C’est la peur qui détruit l’amour - ceci n’est pas une théorie - c’est elle qui facilite l’anxiété, l’attachement, la possessivité, la domination, la jalousie dans tous nos rapports, et c’est elle qui provoque la violence. Comme on peut l’observer dans les villes surpeuplées avec leur explosion démographique, il y a une grande insécurité, une grande incertitude, une grande anxiété. C’est là en partie ce qui pousse à la violence. Pourrons-nous nous en affranchir de façon à quitter cette salle et à en sortir sans que subsiste cette ombre, cette obscurité qui accompagne la peur ?
Pour la comprendre, il nous faut examiner non seulement les peurs physiques mais encore le vaste enchevêtrement des peurs psychologiques. C’est un point que nous allons pouvoir approfondir quelque peu. Notre question est : comment la peur surgit-elle ? Qu’est-ce qui l’entretient, qui la prolonge, et est-il possible d’y mettre fin ? Les anxiétés physiques sont assez faciles à comprendre. Il y a une réaction immédiate à un danger physique et cette réaction est due à de nombreux siècles de conditionnement, parce que sans cela il n’y aurait aucune survie physique, la vie aurait pris fin. Physiquement il faut survivre et une tradition millénaire nous dit « attention », la mémoire dit « attention il y a danger, agissez tout de suite ». Mais cette réaction visible au danger est-elle vraiment de la peur ?
Je vous en prie, suivez tout ceci soigneusement parce que, bien que nous ayons à approfondir quelque chose d’assez simple mais qui est tout de même suffisamment compliqué, si vous n’y prêtez pas votre attention toute entière nous n’allons pas comprendre. Nous demandons si cette réaction physique, sensorielle au danger, qui pousse à une action immédiate, si c’est de la peur ? N’est-ce pas plutôt de l’intelligence et par conséquent cela n’est pas de la peur ? Or, l’intelligence est-elle une affaire de tradition et de mémoire ? Et si oui, pourquoi n’agit-elle pas d’une façon complète, comme elle le devrait, dans le champ psychologique où nous sommes si affreusement terrifiés par tant de choses ? Pourquoi cette même intelligence qui agit lors de l’observation du danger physique, n’agit-elle plus quand nos angoisses sont psychologiques ? Cette intelligence physique n’est-¬elle pas applicable à la nature psychologique de l’homme ? Autrement dit, il y a des peurs de diverses sortes que nous connaissons tous - peur de la mort, de l’obscurité, de ce que pourrait dire notre mari ou notre femme, ou ce que peut penser le voisin ou le patron - tout un enchevêtrement d’angoisses.

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Nous n’allons pas entrer dans les détails de ses diverses formes ; l’objet de notre examen c’est la peur elle-même et non pas telle ou telle peur particulière. Et quand elle existe et que nous en prenons conscience, il y a un mouvement qui nous pousse à l’éviter, à la supprimer, à la fuir, à l’ignorer grâce à différentes formes de divertissements, des distractions religieuses, ou encore en développant en nous le courage qui est une résistance à la peur. Evasion, distraction et courage sont toutes des formes différentes de résistance devant le fait immédiat de la peur.
Plus elle est grande, plus la résistance est intense et ainsi certaines activités névrotiques sont mises en branle. Quand elle est là, l’esprit - ou le « moi » - dit : « il ne faut pas qu’il y ait de peur », et nous voilà dans la dualité. Il y a un « moi » qui est autre chose que la peur, qui s’en évade, qui y résiste, qui cultive son énergie, dévide des théories ou va trouver un psychanalyste ; et puis il y a le « non moi » ! Le « non moi » c’est la peur ; et le « moi » est maintenu séparé d’elle. Il y a donc un conflit immédiat entre la peur et le « moi » qui cherche à s’en rendre maître. Il y a l’observateur et la chose observée. La chose observée étant la peur et l’observateur étant le « moi » qui se propose de s’en débarrasser. Il y a donc une opposition, une contradiction, une séparation et par conséquent un conflit entre la peur et le « moi » qui veut l’annihiler. Est-ce que nous communiquons l’un avec l’autre ?
Donc, il y a le problème de ce conflit entre le « non moi » qui est la peur et le « moi » qui pense en être différent et qui veut y résister, qui cherche à la dominer, à s’en évader, à la supprimer ou à la maîtriser. Cette division entraînera invariablement un état de conflit, comme il arrive pour les nations avec leurs armées, leurs marines et leurs gouvernements souvent différents.
Il y a donc l’observateur et la chose observée - l’observateur qui dit : « Il me faut me débarrasser de cette chose affreuse, il faut absolument que je la détruise. » L’observateur est toujours à lutter, il est devant un état de conflit. Ceci est devenu pour nous une habitude, une tradition, un conditionnement. Et c’est une des choses les plus difficiles au monde que de briser aucune habitude, parce que nous nous complaisons à vivre dans nos routines, fumant, buvant, nous abandonnant à des habitudes sexuelles ou psychologiques ; et il en va de même pour les nations, les gouvernements souverains qui disent « mon pays et votre pays », « mon Dieu et votre Dieu », « ma croyance et votre croyance ». Il est dans notre tradition de combattre, de résister à la peur et par conséquent d’intensifier le conflit et de vitaliser nos angoisses.
Si ceci est bien clair, nous pouvons alors envisager la prochaine question que voici : y a-t-il une différence réelle entre l’observateur et la chose observée, dans ce cas particulier ? L’observateur se figure être autre chose que la chose observée, c’est-à-dire la peur. Y a-t-il vraiment une différence entre lui et la chose qu’il observe ou ne sont-ils pas tous deux une seule et même chose ? Très évidemment ils sont une seule et même chose. L’observateur est la chose observée - si quelque chose d’entièrement neuf se présente il n’y a plus d’observateur du tout. Mais du fait que l’observateur reconnaît sa propre réaction comme étant la peur, qu’il a connue auparavant, il y a division. Aussi, si vous voulez comprendre la chose à fond vous découvrirez par vous-même - j’espère que vous le faites - que l’observateur et la chose observée essentiellement ne font qu’un. Et par conséquent, s’ils sont la même chose, vous éliminez la contradiction, le « moi » et le « non moi », et en même temps vous balayez totalement toute sorte d’effort. Toutefois ceci ne veut pas dire que vous acceptez la peur, ni que vous vous identifiez à elle.
Il y a donc la peur, la chose observée et l’observateur qui en fait partie. Que faire alors ? (Travaillez-vous aussi dur que l’orateur ? Si vous vous contentez d’écouter ses paroles, je crains bien que jamais vous ne puissiez résoudre cette question). Il n’y a donc plus que la peur - et non plus l’observateur qui la regarde, parce que l’observateur est la peur. Il se passe alors bien des choses mais, tout d’abord, qu’est-ce que la peur et comment se pro¬duit-elle ? Nous ne parlons pas de ses résultats, ni de sa cause, ni de la façon dont elle obscurcit notre vie avec sa laideur et sa souffrance. Mais nous nous demandons ce qu’elle est et comment elle se produit. Devons-nous pour cela l’analyser constamment afin de découvrir ses innombrables causes ? Parce que dès l’instant où vous vous mettez à analyser, l’analyseur doit être extraordinairement dégagé de tout préjugé, de tout conditionnement, il lui faut regarder et observer. Autrement s’il existe une sorte de déformation dans son jugement, cette déformation ne cesse de croître à mesure qu’il poursuit son analyse.
Donc, analyser dans le but de mettre fin à la peur n’y met pas fin, bien au contraire. J’espère qu’il y a ici des psychanalystes ! Parce qu’en découvrant sa cause et en agissant à la suite d’une telle découverte, la cause devient l’effet et l’effet devient la cause. L’effet et toute action sur cet effet poursuivie dans le but de découvrir la cause, la découverte de la cause et l’action qui se poursuit conformément à cette cause, nous place dans la situation suivante. C’est une chaîne ininterrompue d’effets et de causes. Si nous rejetons cette compréhension de la cause et de son analyse, que nous reste-t-il à faire ?
Voyez-vous, ce n’est pas ici un amusement mais il y a pourtant une grande joie dans la découverte, une grande satisfaction à comprendre tout ceci. Donc, qu’est-ce qui crée la peur ? Elle est engendrée par le temps et la pensée - le temps : hier, aujourd’hui et demain ; on a peur que quelque chose ne se passe demain, une perte de situation, une mort, la fuite de la femme ou du mari, on a peur que la souffrance et la maladie que j’ai connues jadis, il y a longtemps, ne se reproduisent. C’est ici qu’intervient le temps ; le temps comprenant ce que mon voisin peut dire de moi demain, ou bien le temps qui jusqu’ici a dissimulé une chose que j’ai pu faire il y a bien des années. Je redoute certains désirs profonds, des désirs qui pourraient ne pas recevoir d’accomplissement (donc dans la peur, le temps joue un rôle). La crainte de la mort qui se produit à la fin de la vie, qui peut-être se cache au coin de la rue, et j’en ai peur. Par conséquent, le temps implique la pensée et la peur. S’il n’y a pas de temps, il n’y a pas de pensée. Et quand je m’attarde à penser à ce qui s’est passé hier, dans la crainte que j’ai de le voir se reproduire demain - ceci implique le temps aussi bien que la peur.
Je vous en prie, observez ceci, regardez par vous-même - n’acceptez, ne rejetez rien ; mais écoutez, découvrez par vous-même la vérité de la chose et non pas simplement les paroles, ne vous demandez pas si vous êtes d’accord ou non, mais allez de l’avant. Pour discerner la vérité il vous faut le sentiment, la passion de découvrir et une grande énergie. Vous vous apercevrez alors que la pensée engendre la peur ; penser au passé ou à l’avenir - l’avenir pouvant être la minute qui suit ou le lendemain où dans dix ans - en y pensant vous en faites un événement.
Et penser à un événement qui vous a été agréable hier, le maintient, le prolonge, que ce plaisir soit sexuel, sensoriel, intellectuel ou psychologique ; en y pensant, en construisant une image comme le font la plupart des gens, vous donnez à cet événement passé une continuité due à cette pensée et qui engendre ’ un nouveau plaisir.
Mais la pensée donne naissance à la peur aussi bien qu’au plaisir ; tous deux appartiennent au domaine du temps. C’est ainsi que la pensée engendre cette monnaie à deux faces, le plaisir et la souffrance, qui est peur. Alors que faire ? Nous révérons la pensée. Elle a pris pour nous une importance telle que nous nous figurons : que plus elle est rusée, le mieux cela vaut. Dans le monde des affaires, le monde religieux, le monde de la famille, l’intellectuel utilise la pensée, il se complaît à manipuler cette monnaie, à tresser une couronne de paroles. Combien nous honorons ces gens qui sont verbalement et intellectuellement habiles en pensée ! Et pourtant c’est celle-ci qui est responsable de la peur et de cette chose que nous appelons le plaisir.
Nous ne prétendons pas qu’il faille se priver de plaisir. Nous ne tombons pas dans le puritanisme, nous cherchons à le comprendre, et dans la compréhension, même de ce processus, la peur prend fin. Vous verrez alors que le plaisir est quelque chose d’entièrement différent, et c’est une chose que nous approfondirons si nous en avons le temps. C’est donc la pensée qui est responsable de ces tourments - une face est tourmentée, l’autre est plaisir et prolongation du plaisir ; ce besoin, cette recherche du plaisir, s’adressent à des plaisirs de toutes sortes, le plaisir religieux compris. Alors que faire avec notre pensée ? Peut-elle prendre fin ? Est-ce là une question juste ? Qui doit y mettre fin ? - est-ce un « moi » qui ne serait pas pensée ? Mais ce « moi » est le résultat de la pensée. Et par conséquent vous retombez dans le même vieux problème ; le « moi » et le « non moi », l’observateur qui dit : « Si seulement je pouvais mettre fin à la pensée, je vivrais une vie différente. » Mais en tout cela il n’y a rien d’autre que la pensée, il n’y a pas le penseur qui dit : « Je veux mettre fin à la pensée », parce que l’observateur est le résultat de la pensée.
Et comment celle-ci prend-elle naissance ? Il est facile de voir que c’est une réaction de la mémoire, de l’expérience, du savoir qui est le cerveau, le siège de la mémoire. Quand on lui demande quelque chose, il répond par une réaction qui est à la fois mémoire et reconnaissance. Le cerveau est le résultat de millénaires d’évolution et conditionnement - la pensée est toujours vieille, elle n’est jamais libre, elle est une réaction du conditionnement tout entier.
Dès lors que faire ? Quand la pensée se rend compte qu’elle ne peut absolument rien sur la peur parce que c’est elle qui la crée, alors il y a silence ; il y a la négation complète de tout mouvement qui puisse engendrer la peur. Alors l’esprit, cerveau compris, observe tout ce phénomène de l’habitude, de la contradiction et de la lutte entre le « moi » et le « non moi ». Il se rend compte que l’observateur est la chose observée. Et, voyant que la peur ne peut pas être simplement analysée et mise de côté, mais qu’elle sera toujours là, l’esprit se rend compte aussi que l’analyse ne mène à rien. Et alors on demande : quelle est l’origine de la peur ? Comment prend-elle naissance ?
Nous avons dit qu’elle doit sa naissance au temps et à la pensée. La pensée est une réaction de la mémoire et ainsi elle engendre la peur. Celle-ci ne peut pas prendre fin par un simple contrôle ou une suppression de la pensée, inutile de faire des efforts pour la transformer ou de se complaire à toutes sortes de procédés que l’on emploie contre soi-même. Voyant tout ce tableau étalé devant soi, le voyant sans jugement, choix ou censure, la pensée elle-même dit : « Je vais rester tranquille, sans aucun contrôle, sans aucune censure, je vais être immobile, silencieuse. »
Et ainsi il y a la fin de la peur, ce qui veut dire la fin de la souffrance, la compréhension de soi-même. Faute de se connaître soi-même il n’y a pas de fin à la souffrance et à la peur. Seul un esprit affranchi de la peur peut faire face à la réalité.
Peut-être voudrez-vous maintenant poser des questions. Il faut poser des questions - s’exposer ainsi soi-même à soi-même est nécessaire, nécessaire ici et nécessaire aussi quand vous êtes seul dans votre chambre, dans votre jardin, assis tranquillement dans l’autobus ou en vous promenant - il vous faut poser des questions afin de découvrir.
Mais il faut poser la question juste, et la question juste elle-même comprend la réponse juste.
J.Krishnamurti : Le vol de l’aigle.
Chapitre 5 ; Pourquoi ne pouvons-nous pas vivre dans la paix ?
(Amsterdam, 10 mai 1969) Pages 96 à 111.
Edition Delachaux et Niestlé 1971, 1978.

Les problèmes existeront toujours là où les activités du moi domineront tout le reste.

Les problèmes existeront toujours là où les activités du moi domineront tout le reste.



Pour avoir conscience de ce qui est et de ce qui n’est pas les activités du moi, il faut une vigilance constante. Cette vigilance n’est pas l’attention disciplinée, mais une lucidité ouverte et sans choix. L’attention disciplinée fortifie le moi ; elle finit par se substituer au moi et l’enchaîne plus étroitement. D’autre part, la lucidité n’est pas volontaire, pas plus qu’elle n’est le résultat d’une pratique ; elle est compréhension de tout le contenu du problème, de ce qui est caché comme de ce qui apparaît en surface. Il faut comprendre la surface pour que le caché se révèle ; le caché ne peut pas être mis en lumière si la surface de l’esprit n’est pas au repos.
Tout ce processus n’est pas verbal, pas plus qu’il ne peut faire l’objet d’une simple expérience. L’usage des mots indique une faiblesse de l’esprit ; et l’expérience, étant cumulative, tend à la répétition. La lucidité n’est pas une affaire de détermination, car la volonté est résistance et tend à l’exclusivisme. La lucidité est l’observation silencieuse et sans choix de ce qui est ; dans cette lucidité le problème se déroule de lui-même, et ainsi il est pleinement et entièrement compris.
Un problème n’est jamais résolu dans son propre plan ; étant complexe, il doit être compris dans son processus total. Essayer de résoudre un problème sur un seul plan, physique ou psychologique, mène à d’autres conflits, à une autre confusion. Pour qu’il y a ait résolution d’un problème, il faut cette lucidité, cette vigilance passive qui révèle son processus total.

J. Krishnamurti Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 41 La lucidité

lundi 24 juin 2013

Ce n’est que par l’expérience directe que nos problèmes seront résolus


Ce n’est que par l’expérience directe que nos problèmes seront résolus



Les connaissances ne résoudront pas nos problèmes. Il se peut, par exemple, que vous sachiez que la réincarnation existe, qu’il y a une continuité après la mort. Il se “pourrait” que vous le sachiez ; je ne dis pas que vous le savez ; ou peut-être en êtes-vous convaincus. Mais cela ne résoud pas le problème. La mort ne peut pas être classée à la suite de vos explications, de vos informations, ou de vos convictions. Elle est bien plus mystérieuse, plus profonde, plus créatrice que cela.
L’on doit être capable de réexaminer toutes ces choses avec un esprit neuf, car ce n’est que par expérience directe que nos problèmes seront résolus. Et l’expérience directe ne se produit que s’il y a simplicité, donc sensibilité. Le poids des connaissances émousse l’esprit. Le passé et le futur émoussent l’esprit. Seul l’esprit capable de s’ajuster au présent continuellement, d’instant en instant, peut affronter les puissantes influences et les pressions que notre milieu exerce constamment sur nous. J.Krishnamurti.
Première et dernière liberté. Sur la vraie simplicité. p.97-98. Stock.1972.

dimanche 23 juin 2013

Un monde de violence



Il nous faut construire un monde entièrement autre - un monde différent du monde actuel avec ses conflits, ses manies, sa concurrence, sa brutalité, sa violence, son absence de tout scrupule.



Il est aisé de voir que les idéologies jouent un rôle immense dans la vie de l’homme, et cela dans le monde entier. Ces idéologies contribuent à établir des divisions parmi les humains, favorisant la formation de groupes - démocrate ou républicain, la gauche ou la droite et ainsi de suite -, elles élèvent des murailles entre les gens et de par leur nature même ces idéologies deviennent des « autorités ». Ceux qui prennent le pouvoir grâce à elles tyrannisent les autres soit démocratiquement, soit avec un total manque de scrupule ; tout cela est à observer dans le monde entier. Les idéologies, les principes et les croyances ne se contentent pas de répartir les hommes en groupes, mais ils empêchent véritablement la coopération ; et c’est pourtant de cela que nous avons besoin ici-bas, de coopérer, de travailler ensemble, d’agir ensemble - et non pas de vous voir agir d’une façon parce que appartenant à un groupe, tandis que moi, j’agis différemment, parce que appartenant à un autre. La division se produit inévitablement dès l’instant où vous vous abandonnez à une idéologie particulière - que ce soit celle du communiste, du socialiste, du capitaliste, et ainsi de suite. Quelle que soit cette idéologie, par force elle sépare et engendre des conflits.

Un idéologue n’est pas un homme sérieux, il ne voit pas les conséquences de son idéologie. Par conséquent pour être véritablement sérieux, il faut rejeter totalement et complètement toutes ces divisions religieuses et nationalistes. Il faut nier absolument tout ce qui est faux, et peut-être que par la suite il pourra se faire jour une possibilité d’être véritablement et réellement sérieux. Il nous faut construire un monde entièrement autre - un monde différent du monde actuel avec ses conflits, ses manies, sa concurrence, sa brutalité, saviolence, son absence de tout scrupule.

Seul un esprit religieux est un esprit véritablement révolutionnaire ; il n’existe aucun autre esprit révolutionnaire, celui qui prétend à ce nom, qu’il soit de 1 extrême gauche ou du centre, il n’est pas révolutionnaire. L’esprit qui se colle l’étiquette de gauche ou de centre ne vise qu’un fragment de la totalité, bien plus, il se brise, se fragmente en différentes parties ; ce n’est pas là le fait d’un esprit véritablement révolutionnaire. L’esprit vraiment religieux - dans le sens profond de ce mot - est, lui, véritablement révolutionnaire, parce qu’il est au-delà de la gauche, de la droite et du centre.

JK 

jeudi 20 juin 2013

Le silence pour mieux regarder et écouter


Il faut puiser à la source du silence pour regarder et écouter. (Notes de Krishnamurti)



La plupart des livres de Krishnamurti sont des retranscriptions d’enregistrements de causeries, de dialogues, d’entretiens, de séances de questions / réponses. Seuls quelques livres ont été rédigés par Krishnamurti : les Carnets, les Commentaires sur la vie, le Journal, le Dernier journal et les Lettres aux écoles. Voici un autre écrit de sa main non publié en dehors des bulletins de la KFT et de l’ACK.
Le passage suivant est la retranscription de sept pages manuscrites rédigées par Krishnamurti entre 1967 et 1969 ; la ponctuation originale et les tirets séparant les différents passages ont été respectés. Les paragraphes initiaux ont déjà été inclus dans certains des premiers Bulletins ; le reste est inédit.
La méditation, si elle implique la moindre forme d’effort, n’est plus de la méditation. La méditation n’est pas un accomplissement, une pratique quotidienne répétitive soumise à un système, ni une méthode où l’on vise à atteindre un but recherché. Toute notion d’imagination et de mesure doit être définitivement bannie. La méditation n’est pas le moyen d’accéder à une fin : c’est une fin en soi. Mais pour qu’il y ait méditation, celui qui médite doit cesser d’exister.

Jiddu Krishnamurti
La méditation n’est pas une expérience, une accumulation de souvenirs en vue d’un plaisir futur. Celui qui vit l’expérience suit un itinéraire qui reste toujours limité par le cadre de ses propres projections, du temps et de la pensée. Dans cet environnement confiné de la pensée, la liberté est un concept, une formule et, dans ce cadre-là, jamais le penseur ne peut être en contact avec le mouvement de la méditation. Un mouvement n’a ni commencement ni fin, mais pour le penseur le centre demeure.
La méditation, c’est toujours le présent ; or la pensée appartient toujours au passé. La conscience, dans sa totalité, est pensée, et ses limites étroites excluent l’état de méditation. La méditation consciente, c’est l’appréhension de plus en plus précise de ces limites, et la destruction de toute liberté ; tant que demeurent les frontières de l’esprit, il n’est point de liberté. Et ce n’est que dans la liberté qu’est la méditation.
Sans la méditation, vous serez à jamais esclaves du temps et de son ombre portée — la souffrance. Le temps, c’est la souffrance.
Le silence et l’amour sont indissociables. Pour comprendre, soyez silencieux.
Méditer, c’est être vulnérable, d’une vulnérabilité qui n’a ni passé ni futur, ni hier ni lendemain. N’est vulnérable que ce qui est neuf.
La méditation n’est pas la voie d’accès à des expériences uniques, exceptionnelles : de telles expériences mènent à l’isolement, aux processus d’enfermement liés aux souvenirs assujettis au temps, faisant obstacle à la liberté.
La vallée était nappée de fleurs ; sur ses flancs un tapis de fleurs de toutes les couleurs possibles et imaginables s’étalait avec la richesse, la profusion qu’a la terre elle-même — avec tout son foisonnement de villes, d’usines et de prairies verdoyantes, de forêts et de verts pâturages — égalant en richesse et en beauté cette vallée. Pourtant cette abondance qui, grâce à la nature et à l’homme, foisonne à la surface du globe, est vouée à mourir pour se reconstituer à nouveau. La richesse de la méditation n’est pas le fait de la pensée ou du plaisir que suscite la pensée ; elle est ailleurs, de l’autre côté, sur l’autre versant de la fleur et du nuage. D’où jaillit une richesse incommensurable, comme celle de l’amour et de la beauté — or jamais pareilles choses ne se trouvent de ce côté-ci de la fleur et du nuage.
Le temps, c’est la mémoire. L’extase est hors du temps. La félicité de la méditation ne s’inscrit pas dans la durée. La joie devient plaisir dès qu’elle a une continuité. A l’aune du temps des horloges, la félicité de la méditation n’est rien qu’une seconde, mais dans cette seconde s’inscrit le mouvement global de la vie hors le temps, mouvement qui n’a ni commencement ni fin. Dans la méditation, une seconde, c’est l’infini.
KrishnamurtiSoyez loin. Loin de cet univers de chaos et de malheur, tout en vivant en son sein, sans pour autant qu’il vous atteigne. Cela n’est possible qu’à condition d’avoir l’esprit méditatif, un esprit qui tourne son regard de l’autre côté de la fleur, vers l’autre versant du nuage. L’esprit méditatif n’est lié ni au passé ni au futur, tout en jouissant de la pleine capacité de vivre en toute clarté et en toute raison dans ce monde. Le monde n’est que désordre : il n’a pour seul ordre que le désordre et pour seule morale que l’immoralité. Dans un tel univers, vaine est la quête d’une clarté et de sa mise en ordre au profit de ce monde. A peine mise en Ïuvre, elle se change en ténèbres. La nature de cette clarté est sa vacuité même. C’est parce qu’elle est vide qu’elle est claire ; c’est parce qu’elle est négative qu’elle est positive. Sans savoir où vous êtes, soyez loin. Là où la notion de vous et moi n’a plus cours.
La mort ne concerne que ceux qui possèdent, ceux qui ont une sépulture où reposer. La vie est un mouvement évoluant dans la relation et l’attachement ; la négation de ce mouvement est la mort. N’ayez ni refuge extérieur, ni refuge intérieur ; ayez une chambre, une maison, ou une famille, mais n’en faites pas une cachette, un moyen de vous fuir vous-même. Le havre que s’est créé votre esprit, en cultivant la vertu, en se livrant à la superstition des croyances, en s’exerçant à la maîtrise habile du savoir-faire ou se lançant dans l’activité, débouchera inévitablement sur la mort. Impossible d’échapper à la mort si vous appartenez à ce monde, à cette Société dont vous faites partie. Cet homme, qui est mort, là, tout près de chez vous, ou à des milliers de kilomètres, c’est vous ; depuis des années, il prépare sa mort avec le plus grand soin, comme vous. C’est ce qu’il appelle vivre — comme vous — que ce soit une vie d’efforts, une vie de souffrance, ou une plaisante comédie. Mais la mort est toujours présente, aux aguets, à l’affût. Celui qui meurt chaque jour, en revanche, est au-delà de la mort.
Mourir, c’est aimer. La beauté de l’amour n’est ni dans les souvenirs passés ni dans les images projetées dans l’avenir. L’amour ne possède ni passé ni futur. Tout ce qui possède est mémoire, et la pensée, c’est le plaisir — qui n’est point l’amour. L’amour, avec sa passion, est juste au-delà de cette zone où évolue la société — c’est-à-dire vous. Mourez — et il est là.
La méditation est à la fois un mouvement de l’inconnu et dans l’inconnu. Ce n’est pas vous qui êtes là, mais rien que le mouvement. Vous êtes trop insignifiant, ou trop grand pour ce mouvement que rien précède ni ne suit. Il est cette énergie avec laquelle la pensée-matière ne peut entrer en contact. La pensée est perversion car elle est le produit du passé ; elle est prisonnière des vicissitudes de tous les siècles passés, d’où son caractère confus et incertain. Quoi que vous fassiez, le connu ne pourra jamais accéder à l’inconnu. La méditation, c’est mourir au connu.
Il faut puiser aux sources du silence pour regarder et écouter. Le silence, ce n’est pas la cessation du bruit ; le silence, ce n’est pas l’arrêt du vacarme incessant de l’esprit et du cÏur ; ce n’est pas le produit ni le résultat du désir, pas plus qu’un effet de la volonté. La conscience, dans sa globalité, est un mouvement incessant et bruyant, évoluant dans des limites qu’elle s’impose elle-même. Dans ce cadre-là, tout silence ou immobilité est la cessation momentanée du bavardage, mais c’est un silence touché par le temps. Le temps, c’est la mémoire, et pour elle, le silence est de plus ou moins longue durée ; le temps et la mémoire peuvent le mesurer, lui offrir un espace, lui donner une continuité — il devient alors un jouet de plus. Mais le silence, ce n’est pas cela. Tout ce qui est élaboré par la pensée reste du domaine du bruit, et la pensée ne peut absolument pas faire silence. Elle peut se forger une image du silence et s’y conformer, la vénérer, comme elle fait pour tant d’autres images de sa fabrication. Ayant fait du silence une formule, elle le nie par là-même ; les symboles qu’elle élabore sont la négation même de la réalité. Pour que soit le silence, la pensée elle-même doit être immobile et silencieuse. Le silence, à l’opposé de la pensée, est toujours neuf. La pensée, étant toujours vieille, ne peut en aucun cas pénétrer le silence, qui est toujours neuf. Ce qui est neuf devient vieux dès que la pensée le touche. C’est en puisant aux sources de ce silence qu’il faut regarder et parler. L’anonymat véritable est issu du silence ; nulle autre humilité n’existe. Les vaniteux seront toujours des vaniteux, même s’ils se drapent dans l’humilité, ce qui fait d’eux des êtres durs et cassants. Jailli de ce silence, le mot amour prend un tout autre sens. Ce silence n’est pas là-bas quelque part : il est là où n’est point le bruit que fait l’observateur absolu.
Seule l’innocence peut être passionnée. Les innocents ignorent la douleur, la souffrance, même s’ils ont vécu des milliers d’expériences. Ce ne sont pas les expériences qui corrompent l’esprit, mais les traces qu’elles laissent, les résidus, les cicatrices, les souvenirs. Ils s’accumulent, s’entassent les uns sur les autres, c’est alors que commence la souffrance. Cette souffrance, c’est le temps. Le temps ne peut cohabiter avec l’innocence. La passion ne naît pas de la souffrance. La souffrance, c’est l’expérience, l’expérience de la vie quotidienne, cette vie de tortures, de plaisirs éphémères, de peurs et de certitudes. Nul ne peut échapper à ces expériences, mais rien n’oblige à les laisser s’enraciner dans le terreau de notre esprit. Ce sont ces racines qui suscitent les problèmes, les conflits et les luttes incessantes. La seule issue, c’est de mourir chaque jour au jour précédent. Seul un esprit clair peut être passionné. Sans passion, on ne voit ni la brise qui joue dans le feuillage, ni l’eau éclaboussée par le soleil. Sans passion, point d’amour.

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Voir et faire, c’est tout un. L’intervalle entre le voir et le faire est un gaspillage d’énergie, énergie qui est nécessaire pour voir — autrement dit pour faire.

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L’amour ne peut exister que lorsque la pensée est silencieuse, immobile. La pensée est tout à fait incapable de produire ce silence. Elle peut seulement élaborer des images, des formules, des idées, mais ce silence immobile ne peut en aucun cas être touché par la pensée. La pensée, à l’opposé de l’amour, est toujours quelque chose de vieux.

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L’organisme physique a son intelligence propre, qui s’émousse sous l’effet des habitudes de plaisir. Ces habitudes détruisent la sensibilité de l’organisme, et ainsi la finesse de l’esprit se trouve à son tour émoussée. Cet esprit peut être vigilant dans une mesure étroite et limitée, tout en étant insensible. Un tel esprit, très mesurable quant à sa profondeur, est la proie des images et des illusions. C’est à sa superficialité même qu’il doit d’être brillant. La méditation requiert un organisme délié et intelligent. L’interrelation entre l’esprit méditatif et son organisme est un jeu de réajustement perpétuel de la sensitivité. Car la méditation exige la liberté. La discipline qui lui est propre, c’est la liberté. L’attention ne peut exister que dans la liberté. Etre attentif, c’est prendre conscience de l’inattention. L’attention totale, c’est l’amour. Lui seul a la capacité de voir, voilà pourquoi voir et faire sont une seule et même chose.

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La souffrance est l’aboutissement ultime du désir et du plaisir. Or l’amour est incompatible avec la souffrance. Ce qui est porteur de souffrance, c’est la pensée, la pensée qui donne une continuité au plaisir, qui nourrit le plaisir, le renforce. La pensée est perpétuellement en quête de plaisir, ouvrant ainsi la voie à la douleur. La vertu que cultive la pensée, c’est la voie du plaisir, qui implique l’effort et la réussite. Ce n’est pas dans le terreau de la pensée que fleurit l’ultime bien, mais dans la libération, la délivrance de toute souffrance. La fin de la souffrance, c’est l’amour.

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L’ambition isole. Individuelle ou collective, l’ambition, quelle qu’en soient les formes, mène inévitablement aux antagonismes et aux haines poussant au repli sur soi. Lorsque la famille prend de l’importance, c’est au détriment, à l’encontre du voisin — qu’il soit tout proche où à des milliers de kilomètres ; c’est à l’encontre de l’humanité toute entière. Qu’elle soit en quête des biens de ce monde ou d’un « autre » univers, l’ambition est la même, sous des jours dissemblables. La voie de l’ambition, c’est le conflit, et le conflit, sous quelque forme que ce soit, met fin à l’essence du beau et du bon, à l’amour. L’ambition et l’amour ne peuvent cohabiter. Comment la beauté peut-elle être du côté des ambitieux ? La beauté n’existe que lorsque l’Ïil n’est pas contaminé par la pensée, car la beauté est l’essence même de la non-pensée. La beauté n’est pas une sensation, un plaisir. La beauté, comme l’amour, est l’abandon total du centre, de l’ego. La beauté est inséparable de l’amour et de la mort. Qui en elle sont contenus.

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L’austérité n’a rien de dur, d’agressif, de brutal. Son expression extérieure n’est pas nécessairement décelable ; si elle l’est, alors c’est qu’elle est partie prenante dans tout ce cirque que l’homme cultive depuis toujours avec tant de diligence. L’austérité est un mouvement intérieur, pas une condition requise ; toute chose vivante est difficile à étudier, contrairement à une chose morte, qui peut être copiée. Une austérité intérieure profonde est indispensable pour pouvoir abandonner totalement tout le mécanisme du conflit - l’ego. Sans cette liberté-là, point d’amour ; et sans l’amour, il n’est point de beauté.

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L’exclusion et la solitude ne sont pas synonymes ; là où il y a solitude, il n’y a pas exclusion. S’isoler, c’est élever tout autour de soi un mur de résistance, mais cela ne vous apporte nullement la solitude, qui, elle, est nécessaire. Car c’est dans la solitude que l’on commence à découvrir les mouvements de ses propres pensées-sentiments. C’est dans cette solitude que sont grandes ouvertes les portes de la perception.

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Il est une beauté au-delà de la beauté visible aux yeux. Ce que voit le regard est assez pauvre et superficiel ; son jugement reste étroit, limité ; ce qu’il voit est conditionné par les souvenirs ; c’est une vision comparative. Mais la beauté qui ne concerne pas simplement le regard ne se trouve ni dans la nature, ni dans les livres, ni dans aucun temple, dans aucune église. Elle est en dehors et au-delà de tout cela. Pour la rencontrer, situez-vous plus loin que la pensée et le plaisir.

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L’amour n’est jamais le plaisir. Dans le plaisir il entre toujours de la douleur et de la peur. Le plaisir n’est jamais beau. L’esprit en quête des félicités de l’amour ne trouvera que l’excitation de la pensée, les images qu’elle a façonnées. L’amour n’est pas suscité par la pensée, et lorsque tel est le cas, il n’est que sensation, désir. Le désir n’est jamais l’amour. Le désir est quête de satisfaction, sensuelle ou intellectuelle ; ce n’est pas de l’amour. La pensée et l’amour ne peuvent jamais se rejoindre ; ce sont deux mouvements différents, dont l’un détruit l’autre.

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Poème de Krishnamurti 1929
Les croyances ne sont que superstition. Ce qui est — c’est-à-dire le fait — n’a nul besoin de croyances, de conclusions qui empêchent de voir ce qui est. Le fait est beaucoup plus important que les conclusions que l’on tire de lui. L’acte de tirer des conclusions est totalement différent de l’action liée à ce qui est. Cette action-là est porteuse de liberté, alors que la première nous soumet au joug du temps.

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La méditation n’est pas la voie de l’expérience. Si vous êtes en quête d’expériences plus larges, plus profondes, il faut vous soumettre, obéir. Toutes les expériences ont une fin, mais la douleur et l’attente demeurent. L’abolition, l’achèvement de la souffrance est le commencement de la sagesse, qui n’est pas le fruit de l’expérience. L’expérience ne fait que renforcer, amplifier le savoir. L’amour et la sagesse ne peuvent cohabiter.

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Se connaître soi-même — les activités, les interminables dialogues , les fantasmes, les illusions sans fin de l’ego, le réseau des mouvements qui lui sont propres — c’est cela, abolir la souffrance. La souffrance fait obstacle à la clarté. La méditation est cette clarté dans laquelle n’entre nulle division. L’opposé est le résultat de la confusion.

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Le sentiment est de l’ordre de la pensée ; il n’existe aucun sentiment d’où la pensée soit exclue. Mais le sentiment existe-t-il vraiment ? L’amour est dénué de sentiments car qui dit sentiment dit sensiblerie, sentimentalisme, dévotion, attachement, colère, etc. L’amour est dénué de qualités, d’attributs. L’amour n’est ni sensation ni plaisir, et dans l’amour n’entre point tout le travail du temps. L’amour est à lui-même sa propre action, sa propre éternité.

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Etre présent au monde, c’est éviter le monde.

mercredi 19 juin 2013

L'illusion



Ou s'arrête l'illusion et ou commence la vérité 

Question : Un fait généralement admis de nos jours est que tout est relatif, une question d’opinion personnelle, qu’il n’y a pas de vérité ou de fait indépendant de la perception personnelle. Comment réagir intelligemment à cette croyance ?

Sommes-nous tous tellement personnels que ce que je vois, ce que vous voyez est la seule vérité ? Que votre opinion et la mienne sont les seuls faits à notre disposition ? C’est ce qu’implique la question ; que tout est relatif ; la bonté est relative, le mal est relatif, l’amour est relatif. Si tout est relatif (c’est-à-dire que ce n’est pas la vérité entière et complète) alors nos actes, nos affections, nos rapports personnels sont relatifs, ils peuvent se terminer à tout moment si nous le désirons, dès qu’ils ne nous satisfont pas. Y a-t-il une vérité en dehors de la croyance et de l’opinion personnelles ? La vérité existe-t-elle ? Les Grecs, les Hindous et les bouddhistes ont posé cette question dans l’antiquité. C’est un des faits singuliers des religions orientales qu’on y ait encouragé le doute - douter, mettre en question - alors que dans celles d’Occident, il n’est guère admis et s’appelle hérésie.

On doit découvrir soi-même, en dehors de ses opinions personnelles, de ses perceptions, de ses expériences, qui sont toujours relatives, s’il existe une perception, une vision qui corresponde à la vérité absolue, non relative. Comment le savoir ? Si on dit que les opinions personnelles et les perceptions sont relatives, alors la vérité absolue n’existe pas, tout est relatif. Par voie de conséquence, notre conduite, nos manières. notre mode de vie sont relatifs, fortuits, incomplets, non pas entiers mais fragmentaires. Comment découvrir s’il existe une vérité absolue, complète, qui ne s’altère jamais dans le climat des opinions personnelles ? Comment l’esprit, l’intellect, la pensée vont-ils procéder ? On enquête sur quelque chose qui exige énormément de recherches, de l’action dans la vie quotidienne, la mise de côté de ce qui est faux - c’est ]a seule façon de procéder. Si on a une illusion, un fantasme, une image, un concept romanesque de la vérité ou de l’amour, c’est là la barrière même qui empêche d’avancer. Peut-on honnêtement mener une enquête sur ce qu’est une illusion ? Comment se manifeste-t-elle ? Où prend-elle racine ?

Ce]a ne signifie-t-il pas qu’on joue avec quelque chose qui n’est pas réel ? La réalité est ce qui a lieu, qu’on appelle cela bon, mauvais ou indifférent ; c’est ce qui se passe réellement. Quand on est incapable d’affronter cela en soi, on se crée des illusions pour s’en évader. Si on ne veut pas faire face à ce qui se passe réellement, ou bien qu’on a peur de le faire, cet acte même de l’éviter crée l’illusion, un fantasme, un mouvement romanesque, loin de ce qui est. Ce mot « illusion » implique l’éloignement de ce qui est. Peut-on éviter ce mouvement, cette évasion de la réalité ? Qu’est-ce que le réel ? C’est ce qui a lieu, y compris les réactions, les idées, les croyances et les opinions que l’on a. Leur faire face, c’est ne pas créer d’illusion. Il ne peut y avoir illusion que s’il y a mouvement d’éloignement du fait, de ce qui a lieu, de ce qui est réellement. En comprenant ce qui est, on ne juge pas par opinion personnelle, mais par observation réelle. On ne peut observer ce qui se passe réellement si la croyance ou le conditionnement qu’on peut avoir pèsent sur l’observation. Dans ce cas, il n’y a pas de compréhension de ce qui est.

Si on pouvait regarder ce qui se passe réellement, on pourrait éviter complètement toute forme d’illusion. Peut-on le faire ? Peut-on réellement observer sa dépendance ? - que ce soit d’une personne, d’une croyance, d’un idéal ou d’une expérience particulièrement stimulante ? Cette dépendance crée inévitablement l’illusion. Ainsi, un esprit qui ne crée plus d’illusion, qui n’émet pas d’hypothèses, qui n’a pas d’hallucinations, qui ne veut pas s’engager dans une expérience de ce qu’on appelle la vérité a mis de l’ordre chez lui. Il est en ordre. Les illusions, les leurres, les hallucinations ne provoquent plus de confusion ; l’esprit a perdu sa capacité de créer des illusions.

Alors, qu’est-ce que la vérité ? Les astrophysiciens, les scientifiques utilisent la pensée pour faire de la recherche sur le monde matériel qui les entoure, ils vont au-delà de la physique, ils la dépassent, mais en avançant toujours vers l’extérieur. Si l’on commence toutefois par se diriger vers l’intérieur, on s’aperçoit que le « moi » est aussi de la matière. La pensée est également de la matière. Si on peut se mouvoir vers l’intérieur en passant d’un fait à l’autre, alors on commence à découvrir ce qui est au-delà de la matière. Donc, la vérité absolue existe, à condition d’aller jusqu’au bout".

Question et réponses, Editions du Rocher. Jiddu Krishnamurti 

mardi 18 juin 2013

L’essence de la discipline est le refoulement.








La vision pure met fin à toute forme de refoulement ; il est infiniment plus subtil de voir que de maîtriser. La maîtrise est relativement facile, elle ne demande pas beaucoup de compréhension ; la soumission à un exemple, l’obéissance à l’autorité établie, la crainte de ne pas faire la chose juste, le désir de réussite sont les choses même qui suscitent le refoulement de ce qui est, ou sa sublimation. Le simple acte de voir le fait, quel que soit ce fait, amène sa propre compréhension, et de là survient la mutation.

J. Krishnamurti Carnets 22 novembre à Madras (p.300)

mercredi 12 juin 2013

La richesse | Lesbondon's Blog

La richesse | Lesbondon's Blog

Celui qui n’a rien, fait de sa vie une chose riche, créatrice, cependant que l’homme qui possède tout ce que le monde peut offrir le dissipe et dépérit.



L’argent corrompt. Il y a une arrogance propre aux riches. A de rares exceptions près, la richesse crée partout un climat singulier où l’on croit pouvoir tourner tout à son profit, même les dieux. Les riches peuvent acheter leurs dieux. La richesse n’est pas seulement la fortune ; c’est la possibilité de faire mille choses, cela donne à ceux qui l’ont un curieux sentiment de liberté. Ils se sentent au-dessus des autres, différents. On oublie sa propre ignorance, les opacités de son esprit ; on croit que l’argent et la puissance permettent d’échapper à cette opacité ; mais, en réalité, échapper c’est à nouveau résister, ce qui engendre d’autres problèmes encore.
Heureux l’homme qui n’est rien... Le riche a plus qu’il n’en faut, alors que le pauvre a faim, lutte et travaille toute sa vie. Mais celui qui n’a rien fait de sa vie une chose riche, créatrice, cependant que l’homme qui possède tout ce que le monde peut offrir le dissipe et dépérit. Donnez à l’un un arpent de terre et il le rendra beau, productif, alors qu’un autre le négligera et le laissera se dessécher comme il se dessèche lui-même.
Nous avons une aptitude infinie soit à trouver l’indicible, soit à apporter l’enfer sur terre. Or l’homme préfère engendrer l’hostilité et la haine. C’est qu’il est plus facile de haïr et d’envier. La société repose sur le désir d’avoir toujours plus. Les hommes recourent donc à toutes les formes possibles de rapacité, d’où une lutte sans fin, que l’on justifie et ennoblit
Pupul Jayakar Krishnamurti, une vie, Presses du Châtelet, p. 271.

mardi 4 juin 2013

Un mot de plus

Nous ne savons pas ce qu'est l'amour. 
Dans l'espace que la pensée crée autour de elle -même il n'y a pas d'amour. 
Cet espace sépare l'homme de l'homme, et c'est tout le devenir, la bataille de la vie, l'angoisse et la peur. 
La méditation est la fin de cet espace, la fin du moi. Alors relation a un tout autre sens, dans cet espace qui n'est pas fait par la pensée, l'autre n'existe pas, vous n'existez pas. 
La méditation n'est donc pas la poursuite d'une vision, pourtant sanctifiés par la tradition. C'est plutôt l'espace infini où la pensée ne peut pas entrer. 
Pour nous, le peu de place faite par la pensée autour d'elle, qui est le moi, est extrêmement important, car c'est tout ce que sait l'esprit, s'identifiant avec tout ce qui est dans cet espace. Et la peur de ne pas être est "né" dans cet espace. 
Mais dans la méditation, lorsque cela est compris, l'esprit ne peut entrer dans une dimension de l'espace où l'action est l'inaction. 
Nous ne savons pas ce qu'est l'amour, dans l'espace constitué par la pensée sur elle-même en tant que moi, l'amour est le conflit du moi et du non-moi. Ce conflit, cette torture, n'est pas l'amour. 
La pensée est la négation même de l'amour, et il ne peut entrer dans cet espace où le moi n'est pas. Cet espace est la grâce  que l'homme cherche et ne trouve pas. Il le cherche dans les frontières de la pensée, et la pensée détruit l'extase de cette grâce. JK

Prenez soin de vous

dimanche 2 juin 2013

samedi 1 juin 2013

Un mot

Je ne suis pas certain que tout ceci fasse évoluer les choses car encore une fois on veut lutter contre un monde que nous avons nous même créé. Tant que chaque être humain n'aura pas fait cette simple démarche de comprendre que ce qu'il voit dans ce monde avec son désordre sa violence sa décadence est exactement le même que celui qui est à l'intérieur de lui et en tirer une action une parole juste. Ce monde partira dans un déclin de plus en plus rapide et de façon irréversible mais la nature s'en relèvera sans nous avec de nouvelle espèces. Le paradis c'est notre terre mais nous en avons fait un enfer.


Posté par Sylvain. Prenez soin de vous !

Location:Boulevard Richard Coeur de Lion,Marmande,France