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mercredi 26 mars 2014

la retraite ultime

Ideally the ultimate retreat is to retreat from the past and the future, to always remain in the present.


Idéalement la retraite ultime est de se retirer du passé et de l’avenir, de rester toujours dans le présent


Dzongsar Khyentse Rinpoche




lundi 24 mars 2014

L’amour se donne lui-même en abondance, comme une fleur donne son parfum.

L’amour se donne lui-même en abondance, comme une fleur donne son parfum.


Avoir de la sensibilité c’est aimer. Le mot aimer n’est pas l’amour. L’amour ne peut pas être divisé en amour de Dieu et amour pour l’homme, ni peut-il être mesuré en tant qu’amour pour une personne ou pour l’humanité. L’amour se donne lui-même en abondance, comme une fleur donne son parfum. Mais on le mesure tout le temps dans les relations humaines et, de ce fait, on le détruit.


L’amour n’est pas une denrée pour réformateurs ou travailleurs sociaux ; ce n’est pas un instrument politique destiné à créer de l’action. Lorsque le politicien et le réformateur parlent d’amour, ils se servent du mot et n’entrent pas du tout en contact avec sa réalité, car l’amour ne peut pas être utilisé en tant que moyen pour une fin, immédiate ou dans un lointain futur. L’amour est de la Terre entière, non d’un certain champ ou d’une certaine forêt. L’amour de la réalité n’est circonscrit par aucune religion, et quand les religions organisées s’en servent, il cesse d’être. Les Sociétés, les religions organisées, les gouvernements autoritaires, par leurs activités diligentes, détruisent sans le savoir l’amour qui pourrait devenir passion en acte.


Dans le total développement de l’être humain que produit une éducation correcte, la qualité d’amour doit être nourrie et soutenue dès les premiers pas. L’amour n’est ni du sentimentalisme ni de la dévotion. Il est aussi fort que la mort. On ne peut pas l’acheter avec des connaissances ; l’esprit qui, sans amour, poursuit des connaissances, fait commerce de cruauté, ne vise qu’à l’efficience.

Face à la vie – Krishnamurti




Ne me dites pas ce que vous êtes, mais ayez conscience de ce que vous êtes, quoi que vous soyez, si agréable ou déplaisant que cela soit.

Ne me dites pas ce que vous êtes, mais ayez conscience de ce que vous êtes, quoi que vous soyez, si agréable ou déplaisant que cela soit.


Nous nous plaçons tous à tel ou tel niveau, et nous tombons constamment de ces hauteurs. C’est de ces chutes que nous avons honte. C’est l’amour-propre qui est la cause de notre honte, de notre chute. C’est l’amour-propre qu’il faut comprendre, et non la chute. Si vous ne vous mettiez pas sur un piédestal, comment pourriez-vous tomber ? Pourquoi vous êtes-vous mis sur un piédestal appelé amour-propre, dignité humaine, idéal, et ainsi de suite ? Si vous pouvez comprendre cela, alors il n’y aura plus de honte du passé ; toute honte aura disparu. Vous serez ce que vous êtes sans piédestal. S’il n’y a pas de piédestal, s’il n’y a pas cette hauteur d’où vous regardez plus bas ou plus haut que vous, alors vous êtes ce dont vous vous êtes toujours tenu à l’écart. C’est cet éloignement de ce qui est, cette fuite devant ce que vous êtes, qui engendre la conclusion, l’antagonisme, la honte et la haine. Ne me dites pas ce que vous êtes, mais ayez conscience de ce que vous êtes, quoi que vous soyez, si agréable ou déplaisant que cela soit : vivez avec cela sans le justifier, sans y résister. Vivez avec cela sans lui donner de nom, car donner un nom, c’est prononcer une condamnation, c’est opérer une identification. Vivez avec cela sans peur, car la peur empêche la communion, et sans communion vous ne pouvez pas vivre avec cela. Etre en communion, c’est aimer. Sans amour, vous ne pouvez pas effacer le passé ; avec l’amour, il n’y a pas de passé. Aimez, et le temps n’existe pas.

J. Krishnamurti Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 57 L’amour-propre




dimanche 23 mars 2014

La sexualité peut-elle exister sans qu’il y ait ce désir issu de la pensée ?

La sexualité peut-elle exister sans qu’il y ait ce désir issu de la pensée ?


Question. – La sexualité peut-elle exister sans qu’il y ait ce désir issu de la pensée ?


Réponse. – C’est une chose qu’il vous faut découvrir par vous-même. La sexualité joue un rôle extraordinairement important dans notre vie parce que c’est peut-être l’unique expérience profonde et directe que nous ayons. Intellectuellement et émotivement toujours nous nous conformons, nous imitons, nous suivons, nous obéissons. Dans tous nos rapports il y a douleur et lutte sauf dans l’acte sexuel. Cet acte étant si différent et si beau, nous en devenons esclaves, et à son tour il devient un esclavage. Cet esclavage exige d’être prolongé – encore par l’effet du centre qui divise. On se trouve ainsi enfermé – intellectuellement, dans la famille, dans la communauté, par la moralité sociale, par les sanctions religieuses – enfermé au point qu’il ne reste plus que cet unique rapport humain qui soit empreint de liberté et d’intensité. Nous lui donnons par conséquent une importance immense. Mais si nous étions dans un univers de liberté, il n’y aurait pas une telle soif et un tel problème ; en fait, parce que jamais nous ne pouvons en avoir assez, ou parce que nous nous sentons coupables d’en avoir joui et aussi parce qu’en le recherchant nous brisons les règles établies par la société. L’ancienne société a collé sur la nouvelle l’étiquette de licencieuse alors que pour la nouvelle société la sexualité fait partie de la vie. L’esprit étant libéré de cet esclavage dû à l’imitation de l’autorité, du conformisme et des prescriptions religieuses, la sexualité prendra sa place propre, mais elle ne sera plus une flamme dévorante. D’où il est évident que la liberté est essentielle à l’amour – non pas la liberté de la révolte, ni celle qui consiste à agir à sa fantaisie ou à se laisser aller ouvertement ou secrètement à tous ses désirs, mais plutôt la liberté qui accompagne la compréhension de toute cette structure, toute cette nature du centre. Dès lors la liberté est amour.


J. Krishnamurti

Le changement créateur

Amour et sexualité (p. 120-121)




Nous trouvons un certain bonheur dans le don de soi qui s’exprime par le sexe

Nous trouvons un certain bonheur dans le don de soi qui s’exprime par le sexe


Nous trouvons un certain bonheur dans le don de soi qui s’exprime par le sexe, et ainsi nous l’utilisons comme un moyen de réaliser ce que nous désirons. Le bonheur par quelque chose doit inévitablement engendrer le conflit, car c’est le moyen qui devient beaucoup plus important que le bonheur lui-même.


Si je trouve le bonheur dans la beauté de cette chaise, c’est la chaise qui devient importante à mes yeux et c’est elle que je dois protéger contre les autres. Dans cette lutte, le bonheur que j’ai d’abord trouvé dans la beauté de la chaise est totalement oublié, perdu, et je me trouve seul en présence de la chaise. En soi, la chaise a fort peu d’importance ; mais je lui ai donné une importance extraordinaire, car elle représente l’instrument de mon bonheur. Ainsi, l’instrument se substitue-t-il au bonheur.


Lorsque l’instrument de mon bonheur est une personne vivante, le conflit et la confusion, l’antagonisme et la souffrance sont beaucoup plus douloureux. Lorsque les relations sont basées sur un simple usage, peut-il exister des relations entre l’utilisateur et l’utilisé autres que très superficielles ? Si je me sers de vous en vue de mon bonheur, suis-je réellement en relation avec vous ? La relation implique communion avec un autre sur des plans différents ; et y a-t-il communion avec un autre lorsque l’autre n’est qu’un instrument de mon bonheur ? En utilisant ainsi un autre, ne suis-je pas en réalité en train de chercher à m’isoler, dans une solitude où je crois trouver le bonheur ?


Cet isolement, je l’appelle relation ; mais en réalité il n’y a aucune communion dans ce processus. La communion ne peut exister que là où il n’y a pas de peur ; et lorsqu’il y a utilisation et par conséquent dépendance, il y a peur et souffrance. Et rien ne peut vivre dans l’isolement ; les tentatives de l’esprit pour s’isoler le conduisent à sa propre frustration et à la douleur. Pour échapper à ce sentiment d’imperfection, nous cherchons la perfection dans les idées, les gens, les choses ; ainsi nous revenons au point de départ, en quête de produits de remplacement.


J. Krishnamurti Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 41 La lucidité




Que se passe-t-il vraiment quand l’esprit est véritablement tranquille ?

Que se passe-t-il vraiment quand l’esprit est véritablement tranquille ?

La couleur a un curieux effet sur l’oeil.


Sur chaque table il y avait des jonquilles jeunes, fraîches, que l’on venait de cueillir dans le jardin, et qui avaient encore tout l’éclat du printemps. Sur une table placée de côté il y avait des lys blanc crème avec leur centre jaune brillant. Voir ce blanc crème et le jaune éclatant des nombreuses jonquilles c’était voir le ciel bleu, toujours en expansion, illimité, silencieux.


Presque toutes les tables étaient occupées par des personnes qui parlaient très fort et qui riaient. A une table voisine une femme nourrissait subrepticement son chien avec la viande qu’elle ne pouvait manger. Ils semblaient tous avoir des portions énormes et voir les gens manger n’était pas un spectacle plaisant ; manger publiquement est peut-être une coutume barbare. Un homme, de l’autre côté de la salle, s’était gorgé de vin et de viande et était en train d’allumer un gros cigare ; un air de béatitude apparut sur son visage gras. Sa femme, également grasse, alluma une cigarette. Ils paraissaient tous deux perdus au monde.


Et elles étaient là, les jonquilles jaunes, et personne n’avait l’air d’y prêter attention. Elles étaient là dans un but décoratif et n’avaient absolument aucune signification ; mais comme vous les observiez, leur éclat jaune remplissait la salle bruyante. La couleur a ce curieux effet sur l’oeil. Ce n’était pas tant le fait que l’oeil absorbait la couleur ; elle semblait remplir votre être. Vous étiez cette couleur ; vous ne la deveniez pas – vous en faisiez partie, sans identification, sans un nom : dans un anonymat qui est innocence. Ce qui n’est pas anonyme engendre la violence, sous toutes ses formes.


La révolution du silence

Europe, Chapitre 13 (p. 183-184)




samedi 22 mars 2014

Aucune pensée, aucune émotion fantaisiste n’auraient pu provoquer un tel événement.

Aucune pensée, aucune émotion fantaisiste n’auraient pu provoquer un tel événement.


C’est arrivé soudain, à notre retour dans la chambre ; il était là, nous accueillant chaleureusement, ample, tellement inattendu. Nous ne faisions que passer, parlant de choses et d’autres de peu d’importance. L’accueil de cet « otherness* » fut un choc et une surprise ; il attendait dans la chambre, en une invite si franche que toute excuse aurait été futile. A plusieurs reprises, sur le pré communal, loin d’ici, à l’ombre de quelques arbres, il attendait au tournant du chemin que tant de gens empruntaient ; et l’on se tenait là étonné, près de ces arbres, totalement ouvert, vulnérable, sans voix, sans mouvement.


Ce n’était pas une fantaisie imaginaire ou la projection d’une illusion personnelle ; l’autre personne aussi l’a senti ; plusieurs fois présent, presque incroyable, en un grand accueil d’amour, il avait à chaque fois une qualité, une beauté, une austérité nouvelles. Et il en était encore ainsi dans cette chambre. Totalement neuf, inattendu, sa beauté laissait le corps et l’esprit sans mouvement ; pourtant l’esprit, le cerveau et le corps en devenaient intensément alertes, sensibles. Le corps se mettait à trembler et, après quelques minutes, cet « otherness » si bienveillant se retirait aussi vite qu’il était sans doute venu.


Aucune pensée, aucune émotion fantaisiste n’auraient pu provoquer un tel événement ; la pensée est de toute façon mesquine, le sentiment si fragile, trompeur ; l’une pas plus que l’autre, même dans leurs tentatives les plus folles, ne pourraient produire de tels événements. Trop grands, trop immenses dans leur force et leur pureté pour la pensée ou le sentiment, ils n’ont pas de racines, alors que ces derniers en ont. On ne peut les inviter, les retenir ; la pensée-sentiment peut se livrer à toutes sortes d’habiles stratagèmes, mais non pas inventer ou contenir l’« otherness ». Il se suffit à lui-même, rien ne peut le toucher.


* : N’ayant pas d’équivalent en français, ce mot n’a volontairement pas été traduit. Par approximation, on pourrait le traduire par “état autre”, mais cela paraît inadéquat pour suggérer ce que Krishnamurti semble avoir mis dans le mot “otherness”. (N.D.T.)


J. Krishnamurti Carnets 25 octobre à Rishi Valley (p.230-231)




vendredi 21 mars 2014

L’étalage de bonté peut ne servir qu’à faire briller, mais ce n’est pas la flamme.

L’étalage de bonté peut ne servir qu’à faire briller, mais ce n’est pas la flamme.


Si vous découvrez que le jardin que vous avez entretenu avec tant de soin n’a produit que des herbes empoisonnées, vous devez les arracher jusqu’à la racine ; vous devez abattre les murs qui les ont abritées.


Vous pouvez ou vous ne pouvez pas le faire, car vous avez des jardins immenses, bien gardés et entourés de murs solides. Vous ne le ferez que lorsque ce ne sera pas pour échanger une situation contre une autre ; mais il faut le faire, car mourir riche, c’est avoir vécu pour rien. Mais en plus de cela, il doit y avoir la flamme qui nettoie l’esprit et le coeur, qui donne à toutes choses leur jeunesse et leur fraîcheur première.


Cette flamme n’est pas de l’esprit, ce n’est pas une chose que l’on peut cultiver. L’étalage de bonté peut ne servir qu’à faire briller, mais ce n’est pas la flamme ; les services que vous pouvez rendre, si nécessaires et bénéfiques soient-ils, ne sont pas l’amour ; la pratique de la tolérance, de la compassion telle que l’église et le temple la préconisent, les paroles aimables, les manières discrètes, le culte du sauveur, de l’image, de l’idéal — tout cela n’est pas l’amour.


J. Krishnamurti Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 59 « Comment aimer ? »




Ce qu’il est important de découvrir, ce n’est pas de savoir qui est le maître, le saint, le leader, mais pourquoi vous le suivez.

Ce qu’il est important de découvrir, ce n’est pas de savoir qui est le maître, le saint, le leader, mais pourquoi vous le suivez.


Elle disait, sous les arbres, après la causerie, qu’elle était venue pour entendre le maître des maîtres, pour le cas où il parlerait. Elle avait fait preuve d’une grande persévérance, mais maintenant cette persévérance était devenue de l’obstination. Cette obstination était voilée par des sourires et une tolérance raisonnable, une tolérance qu’elle avait soigneusement étudiée et cultivée ; cela venait de l’esprit et comme tel pouvait dégénérer en une intolérance violente et passionnée. C’était une personne grasse et elle parlait d’une voix doucereuse ; mais la condamnation était au bord de ses lèvres, et ses croyances et ses convictions étaient toujours prêtes à se manifester violemment. Il y avait en elle quelque chose de rigide et de refoulé, mais elle s’était vouée à la Fraternité et à sa bonne cause. Elle ajouta, après un moment de silence, qu’elle saurait quand le maître parlerait, car elle et son groupe sentaient cela d’une façon mystérieuse qui n’était pas donnée aux autres. Elle avait une façon de dire cela en penchant la tête qui trahissait l’orgueil de la possession, d’une connaissance exclusive.


Le savoir particulier, exclusif, offre des satisfactions très agréables. Savoir quelque chose qu’un autre ignore est une source permanente de satisfaction ; cela donne le sentiment d’être en contact avec des choses plus profondes, et cela donne du prestige et de l’autorité. Vous êtes directement en contact, vous avez quelque chose que les autres n’ont pas, et cela vous donne de l’importance, non seulement vis-à-vis de vous-même, mais devant les autres. Les autres ont pour vous une sorte de considération craintive parce qu’ils voudraient partager ce que vous détenez ; mais vous donnez, et vous en savez toujours plus. Vous êtes le chef, l’autorité ; et il n’est pas très difficile d’en arriver là car les gens veulent qu’on les enseigne et qu’on les mène. Plus nous avons conscience d’être dans l’égarement et la confusion, plus nous sommes désireux d’être guidés et informés ; c’est ainsi que l’autorité se fonde au nom d’un Etat, d’une religion, d’un maître ou d’un leader politique.


Le culte de l’autorité, pour les petites comme pour les grandes choses, est néfaste, surtout lorsqu’il s’applique au domaine religieux. Il n’y a pas d’intermédiaire entre vous et la réalité ; s’il s’en présente un, il ne peut être que malfaisant, il ne peut que pervertir la réalité, qui que ce soit, qu’il s’agisse du plus grand messie ou du plus récent gourou. Celui qui sait ne sait pas ; toute sa science n’est constituée que de ses propres préjugés, de ses croyances qui ne sont rien de plus que des projections de son moi, des exigences de ses sens. Il ne peut pas connaître la vérité, l’incommensurable. On peut édifier une position et une autorité et on peut l’exploiter avec art et astuce, mais pas l’humilité. La vertu libère ; mais cultiver l’humilité n’est pas une vertu, cela appartient au domaine de la sensation, donc c’est nuisible et destructeur ; c’est un esclavage qu’il faut briser et rebriser sans cesse.


Ce qu’il est important de découvrir, ce n’est pas de savoir qui est le maître, le saint, le leader, mais pourquoi vous le suivez.


J. Krishnamurti Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 28 L’autorité




La dépendance devient plus forte, la fuite plus nécessaire, selon le degré de la peur

La dépendance devient plus forte, la fuite plus nécessaire, selon le degré de la peur


Question : — Pourquoi ne m’évaderais-je pas de moi-même ? Je n’ai rien dont je puisse m’enorgueillir, et en m’identifiant à ma femme, qui est bien meilleure que je ne suis, je sors de moi.


Krishnamurti : Naturellement, la plupart des gens s’évadent hors d’eux-mêmes. Mais en échappant à votre moi, vous êtes devenu dépendant. La dépendance devient plus forte, la fuite plus nécessaire, selon le degré de la peur de ce qui est. La femme, le livre, la radio, prennent une importance extraordinaire ; les évasions deviennent de la plus haute importance, prennent une valeur de plus en plus grande. Je me sers de ma femme comme d’un moyen pour me fuir moi-même, et c’est pour cela que je tiens tant à elle. Je dois la posséder, je ne dois pas la perdre ; et elle aime être possédée, car elle aussi se sert de moi. Il y a un besoin commun d’évasion, et nous nous utilisons mutuellement. C’est cette utilisation que nous appelons amour. Vous n’aimez pas ce que vous êtes, aussi vous vous fuyez, vous fuyez ce qui est.


Commentaires sur la vie Tome 1, Chapitre 75

La peur et l’évasion




Nous sommes toujours des hôtes sur cette terre…

Nous sommes toujours des hôtes sur cette terre…


… avec l’austérité que cela implique. L’austérité est plus profonde que le renoncement des possessions. Ce mot d’austérité a été spolié par les moines, les ermites, les sannnyasi. Il n’avait pas de sens là-haut, dans la solitude des choses, des multitudes de pierres, de petits animaux, de fourmis. Et dans le lointain, au-delà des collines, la grande mer brillait, étincelait. Nous avons scindé la terre comme si elle nous appartenait – votre pays, le mien, votre drapeau, son drapeau, la religion d’ici et celle de l’autre, là-bas. Le monde, la terre est divisée, en morceaux. Nous nous battons et nous disputons pour la possession, et les politiciens exultent de pouvoir maintenir cette division, sans jamais considérer le monde comme un tout. Ils n’ont pas l’esprit global. Jamais ils ne ressentent ni ne perçoivent l’immense potentiel de n’avoir pas de nationalité ni de division. Ils ne s’aperçoivent jamais de la laideur de leur pouvoir, de leur position, de leur sentiment de supériorité. Ils sont comme vous et moi, mais ils occupent le siège du pouvoir avec toute la mesquinerie de leurs désirs et de leurs ambitions. Ainsi, ils assurent la survivance d’un comportement « tribal » que l’homme a toujours eu à l’égard de l’existence. Ils n’ont pas l’esprit libre de tout idéal ou idéologie, l’esprit qui dépasse les divisions entre les races, les cultures, et les religions que l’homme a inventées. Les gouvernements seront nécessaires tant que l’homme ne sera pas sa propre lumière, tant qu’il ne mettra pas de l’ordre et de l’affection dans sa vie quotidienne, et qu’il ne portera pas un soin attentif à son travail, à ses observations, à son apprentissage. Il préfère être dirigé dans ses actes, comme il l’a été depuis toujours, par les anciens, les prêtres, les gourous. Et il accepte les ordres de ceux-ci, leurs curieuses pratiques destructrices, comme s’ils étaient des dieux incarnés, comme s’ils connaissaient toutes les conséquences de cette vie si extraordinairement complexe.

J. Krishnamurti Dernier Journal Vendredi 11 mars 1983 (p.22-23)




mercredi 19 mars 2014

La guerre est la projection spectaculaire et sanglante de notre vie quotidienne.

La guerre est la projection spectaculaire et sanglante de notre vie quotidienne.


Pour découvrir la vérité, il est d’abord nécessaire d’être libéré des conflits habituels qui ont lieu à la fois dans l’individu et entre lui et le monde extérieur. Lorsque nous ne sommes plus en état de conflit intérieurement, nous ne le sommes plus extérieurement. C’est le conflit intérieur qui, projeté à l’extérieur, devient mondial.


La guerre est la projection spectaculaire et sanglante de notre vie quotidienne. C’est un précipité de nos vies de tous les jours. Et sans une transformation de nous-mêmes il y aura forcément toujours des antagonismes nationaux et raciaux, de puériles querelles idéologiques, une multiplication de soldats, les saluts aux drapeaux et les brutalités sans nombre qui concourent à créer le meurtre organisé. L’éducation dans le monde entier a fait faillite, elle a produit des destructions et des misères de plus en plus grandes. Les gouvernements sont en train de dresser les jeunes à devenir les soldats et les techniciens dont ils ont besoin ; l’enrégimentement et les préjugés sont imposés et entretenus. Prenant ces faits en considération, nous devons nous interroger sur le sens de l’existence, ainsi que sur la signification et le but de nos vies. Il nous faut découvrir des moyens bénéfiques pour créer un nouveau milieu ; car le milieu peut faire de l’enfant une brute, un spécialiste insensible, ou l’aider à devenir un être humain sensible. Il nous faut créer un gouvernement mondial qui sera radicalement différent de tous ceux que nous avons, qui ne sera pas basé sur le nationalisme, sur des idéologies, sur la force.


Tout cela exige que nous comprenions notre responsabilité les uns envers les autres, dans nos relations mutuelles. Il faut de l’amour dans nos coeurs ; nous n’avons pas besoin de tant d’érudition et de savoir. Plus grand sera notre amour, plus profonde sera son influence sur la société. Mais nous sommes tout cerveau et privés de coeur ; nous cultivons l’intellect et méprisons l’humilité. Si nous aimions réellement nos enfants, nous voudrions les sauver et les protéger, nous ne permettrions pas qu’ils soient sacrifiés dans des guerres.


Je crois qu’en réalité nous voulons des armes ; nous aimons le spectacle de la force militaire, les uniformes, les rituels, les boissons, le bruit, la violence. Notre vie quotidienne est le reflet en miniature de cette même brutalité superficielle et nous nous détruisons les uns les autres par envie et irréflexion.


Nous voulons être riches ; et plus nous le sommes, plus nous devenons brutaux, même lorsqu’il nous arrive de donner de grosses sommes d’argent à des oeuvres de charité et d’éducation. Ayant volé la victime, nous lui rendons un petit peu du butin et appelons cela de la philanthropie. Je ne sais pas si nous nous rendons compte des catastrophes que nous préparons.


J. Krishnamurti De l’éducation L’éducation et la paix, chapitre 4 (p. 75-77)




mardi 18 mars 2014

Le fait de ressentir un sentiment et celui de lui donner un nom sont deux actes pratiquement simultanés, n’est-ce pas ?

Le fait de ressentir un sentiment et celui de lui donner un nom sont deux actes pratiquement simultanés, n’est-ce pas ?


Le fait de ressentir un sentiment et celui de lui donner un nom sont deux actes pratiquement simultanés, n’est-ce pas ? Peut-il exister un intervalle entre le moment où l’on éprouve et celui où l’on nomme ce que l’on a éprouvé ?


Si l’on fait l’expérience directe de cet intervalle, on découvre que le penseur cesse d’être en tant qu’entité séparée et distincte de la pensée. Le processus de la verbalisation fait partie du moi, cette entité qui est jalouse et qui tente de masquer sa jalousie. Si vous comprenez réellement cette vérité, la peur cesse.


Le fait de nommer a un effet psychologique et physiologique. Et ce n’est que lorsqu’on ne nomme pas qu’il est possible d’avoir parfaitement conscience de ce que l’on appelle le vide de la solitude. Car alors l’esprit ne se sépare pas de ce qui est.

JK




Il n’existait littéralement plus aucune division, plus aucun sentiment du monde, du « moi ».

Il n’existait littéralement plus aucune division, plus aucun sentiment du monde, du « moi ».


K. : Une nuit, en Inde, je me suis réveillé ; j’ai regardé ma montre, il était minuit et quart. J’hésite à en parler tellement cela a l’air extravagant, mais la source de toute énergie avait été atteinte. Et l’effet sur le cerveau était extraordinaire. Physiquement aussi — excusez-moi de parler ainsi de moi-même — mais, voyez-vous, il n’existait littéralement plus aucune division, plus aucun sentiment du monde, du « moi ». Est-ce que vous me suivez ? Il ne restait que la sensation d’une formidable source d’énergie.


D.B. : Donc le cerveau était en contact avec cette source d’énergie ?


K. : Oui, et si je parle depuis soixante ans, c’est que je voudrais que d’autres y parviennent — non, il ne s’agit pas de parvenir. Est-ce que vous me comprenez ? Tous nos problèmes sont alors résolus. Parce que c’est l’énergie pure, de toute éternité. Comment puis-je — pas « moi », bien entendu — comment ne pas enseigner, aider, inciter — comment réussir à dire : « cette voie mène à une paix totale, à l’amour » ? Pardonnez-moi d’avoir recours à ces mots-là. Mais supposez que vous ayez atteint le point où votre cerveau lui-même en devient tout vibrant — comment feriez-vous pour aider les autres ? Vous comprenez ? Aider — pas débiter des mots. Comment aider les autres à accéder à cela ?




lundi 17 mars 2014

Il n’y a pas d’évolution psychologique.

Il n’y a pas d’évolution psychologique.


Nous disions donc qu’il n’y a pas d’évolution psychologique. Le psychisme ne croîtra ni ne changera jamais en ce qu’il n’est pas. L’orgueil et l’arrogance ne peuvent ni s’améliorer ni s’accroître, pas plus que l’égoïsme, qui est le lot de tous les êtres humains, ne devient plus égoïste, plus proche de sa vraie nature. Il est assez effrayant de constater que le seul mot « espoir » comprend tout l’avenir du monde. L’idée d’un mouvement de « ce qui est » à « ce qui devrait être » est une illusion, et même un mensonge, si l’on peut se permettre d’employer ce mot. Nous acceptons comme fait accompli ce que l’homme répète depuis la nuit des temps. Mais si nous commençons à le remettre en question, à douter, nous pouvons voir très clairement – si nous voulons le voir, et non pas nous cacher derrière quelque image ou quelque formule sophistiquée – la nature et la structure du psychisme, de l’ego, et du moi. Le moi ne pourra jamais devenir meilleur. Il essaie, croyant le pouvoir, mais il demeure dans des formes subtiles. Le moi revêt bien des apparences et se cache dans bien des structures ; il peut varier d’un moment à l’autre, mais il reste toujours le moi, cette activité séparatrice et centrée sur soi, qui espère devenir un jour ce qu’elle n’est pas.

J. Krishnamurti Dernier Journal Jeudi 17 mars 1983 (p.47)




dimanche 16 mars 2014

Comment vivre sur cette terre sans tuer ou faire souffrir un autre ?

Comment vivre sur cette terre sans tuer ou faire souffrir un autre ?


Comment vivre sur cette terre sans tuer ou faire souffrir un autre ? Approfondir réellement cette question est un processus très, très sérieux. Est-ce que c’est cette qualité d’amour qui répond à cette question ?

Si vous aimez un autre être, êtes-vous prêt à le tuer ? Allez-vous tuer, à part ce dont vous avez besoin pour vous nourrir, des légumes, des noix, etc., à part cela, allez-vous tuer ? Approfondissez toutes ces questions et vivez avec, pour l’amour du ciel, ne vous contentez pas d’en parler.


Ce qui divise le monde, ce sont les idéaux, l’idéologie d’un groupe contre celle d’un autre, cette division apparemment éternelle entre l’homme et la femme, etc. On a essayé de jeter un pont avec la logique, la pensée, la raison, à l’aide de différentes institutions, fondations et organisations, et on n’a absolument pas réussi. C’est un fait. Le savoir n’a pas non plus résolu ce problème – le savoir dans le sens d’une expérience accumulée, etc. Et la pensée n’a certainement pas résolu ce problème. Il n’y a donc qu’une possibilité pour sortir de là :

découvrir ce qu’est l’amour.


De la nature et de l’environnement. Page 151. Ojai,le 24 mai 1984. Editions du Rocher.1994.




Comme des machines, nous exécutons nos tâches quotidiennes

Comme des machines, nous exécutons nos tâches quotidiennes.


La vie se déroulait comme à l’accoutumée autour du seul point d’eau du village. L’eau coulait lentement et des femmes faisaient la queue en attendant leur tour. Trois d’entre elles se querellaient bruyamment et amèrement ; elles étaient totalement absorbées par leur colère et ne prêtaient aucune attention aux autres femmes, qui d’ailleurs ne se préoccupaient pas d’elles non plus. Cela était sans doute un rituel quotidien, qui comme tous les rituels devait être stimulant et elles appréciaient beaucoup cette stimulation. Une vieille femmen en aida une plus jeune à soulever un gros pot en cuivre brillant. La jeune femme avait un morceau d’étoffe qu’elle posait sur sa tête afin de supporter le poids du récipient, qu’elle retenait d’une main légère. Elle avait une démarche remarquable et une grande dignité émanait d’elle. Une petite fille arriva brusquement, glissa son broc sous la fontaine et l’emporta sans dire un mot. D’autres femmes allaient et venaient, mais la querelle ne cessait pas et semblait au contraire vouloir ne jamais finir. Mais les trois femmes arrêtèrent brusquement de se quereller, remplirent leurs cruches d’eau et s’en furent comme si de rien n’était. Le soleil était maintenant plus fort, et de la fumée s’échappait des chaumières du village. Le premier repas du jour était en train de cuire. Comme tout était soudain paisible ! A l’exception des corbeaux, tout était silencieux. Dès que la bruyante querelle se fut apaisée, on entendit le bruit de la mer au-delà des maisons, des jardins et des palmeraies.


Comme des machines, nous exécutons nos tâches quotidiennes. Que l’esprit est avide de se plier à un mode de vie, et comme il s’y accroche férocement ! L’esprit est maintenu par l’idée comme par un clou, et vit autour de l’idée, satellite ayant sa propre existence. L’esprit n’est jamais libre, ni souple car il est toujours ancré à quelque chose ; il ne peut se déplacer que dans le rayon, étroit ou large, de son propre centre. Et il n’ose pas s’éloigner de ce centre, car s’il le fait la peur l’envahit. La peur n’est pas liée à l’inconnu, mais à la perte du connu. L’inconnu n’incite pas à la peur, alors que la dépendance du connu y pousse. La peur est toujours liée au désir, le désir du plus ou du moins. L’esprit, qui ne cesse de tisser ses modèles, fabrique le temps.


J. Krishnamurti Commentaires sur la vie Tome 2, Chapitre 22




samedi 15 mars 2014

Il n’y a pas de différence essentielle entre les vieux et les jeunes.

Il n’y a pas de différence essentielle entre les vieux et les jeunes. Les uns, comme les autres, sont esclaves de leurs désirs et de leurs jouissances.


La maturité n’est pas une question d’âge : elle vient avec la compréhension. L’ardent esprit de recherche est peut-être plus accessible aux jeunes, car les vieux ont souvent été malmenés par la vie : les conflits les ont usés et la mort, sous différentes formes, les attend. Cela ne veut pas dire qu’ils soient incapables de mener à fond une recherche, mais que cela leur est plus difficile. Beaucoup d’adultes manquent de maturité, sont assez enfantins, et c’est là une des causes qui contribuent à la confusion et à la misère du monde. Ce sont les vieux qui sont responsables de la crise économique et morale actuelle, et l’une de nos malheureuses faiblesses est de vouloir que d’autres viennent agir pour nous et modifier le cours de nos vies. Nous attendons que des jeunes se révoltent et construisent un monde nouveau, cependant que nous demeurons inactifs, n’étant pas sûrs du résultat.


C’est la sécurité et le succès que la plupart d’entre nous recherchent. Et un esprit qui aspire à la sécurité, qui est avide de succès, n’étant pas intelligent, ne se prête à aucune action intégrée. Il ne peut y avoir d’action intégrée que pour l’homme pleinement conscient de son conditionnement, de ses préjugés raciaux, nationaux, politiques et religieux, c’est-à-dire l’homme qui réalise que les voies de l’égo sont toujours séparatives.


La vie est un puits aux eaux profondes. L’on peut s’y présenter avec des petits seaux et ne tirer que peu, ou avec de grands récipients et extraire des eaux abondantes qui nourriront substantiellement. C’est le temps de la jeunesse qui est celui des recherches. C’est celui où l’on veut faire l’expérience de tout. L’école devrait aider les jeunes à découvrir leurs vocations et leurs responsabilités et non pas simplement leur farcir l’esprit de faits et de connaissances techniques ; elle devrait être le bon sol dans lequel ils pourraient grandir sans peur, heureux, intégralement.


J. Krishnamurti De l’éducation Ce qu’est le vrai enseignement, chapitre 2 (p. 39-40)




vendredi 14 mars 2014

Tant que nous continuerons à grimper à l’échelle du succès, il y aura toujours des malheureux et des affamés.

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Tant que nous continuerons à grimper à l’échelle du succès, il y aura toujours des malheureux et des affamés.


Question : Pourquoi certaines personnes naissent-elles dans des conditions misérables, alors que d’autres sont riches et heureuses ?


Krishnamurti : Qu’en pensez-vous ? Pourquoi, au lieu de me poser cette question et d’attendre une réponse, ne cherchez-vous pas à savoir quel est votre sentiment à ce sujet ? Croyez-vous qu’il s’agisse de quelque raison mystérieuse que vous appelez karma ? Dans une vie antérieure, vous auriez vécu vertueusement et vous seriez récompensé maintenant avec de la fortune et une situation. C’est cela ?… Ou, ayant été méchant dans une précédente incarnation, vous êtes puni dans cette vie.


Voyez-vous, la réalité est un problème très complexe. C’est la Société qui est coupable. Les ambitieux et les malins exploitent les autres et parviennent au sommet. Le désir de chacun est de gravir les échelons, de monter aussi haut que possible, et alors que se produit-il ? On se piétine les uns les autres et celui qui est écrasé demande « pourquoi la vie est-elle si injuste ? Vous avez tout et je suis un incapable, je n’ai rien ». Tant que nous continuerons à grimper à l’échelle du succès, il y aura toujours des malheureux et des affamés. C’est notre désir de réussir qui doit être compris, et non la raison pour laquelle certains sont riches et d’autres pauvres, pourquoi les uns ont du talent et les autres non. C’est notre désir de grimper, d’être importants, qui doit changer. Nous aspirons tous au succès, n’est-ce pas ? C’est-là qu’il faut chercher la faute, pas dans un Karma ou dans quelque autre explication. La réalité est que nous voulons tous « grimper » : peut-être pas jusqu’au sommet, mais aussi haut que possible. Tant qu’existera ce désir d’être « quelqu’un » dans le monde, nous aurons des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités.


J. Krishnamurti Face à la vie Première série, chapitre 4 (p. 64-65)




jeudi 13 mars 2014

Il n’y avait pas d’observateur qui les écoutait, les prenait en pitié et marchait derrière elles.

Il n’y avait pas d’observateur qui les écoutait, les prenait en pitié et marchait derrière elles. Ce n’était pas son amour ou sa pitié qui lui permettait de faire partie d’elles : il était elles.


Deux femmes descendirent le sentier en portant des fagots sur leurs têtes. L’une était âgée et l’autre très jeune, et les poids qu’elles portaient semblaient très lourds. Chacune portait en équilibre sur sa tête un fagot de longues branches sèches liées par un sarment de vigne, et le tenait d’une main. Leurs corps se balançaient librement tandis qu’elles descendaient de la colline d’un pas vif et léger. Leurs pieds étaient nus, en dépit de l’aspect rocailleux du sentier. Mais cela ne semblait pas avoir d’importance car elles marchaient sans même regarder où elles posaient les pieds, guidées par un instinct sûr. Elles tenaient leurs têtes très droites, les yeux rouges et distants. Très maigres, leurs os saillaient, et les cheveux de la plus âgée étaient sales et emmêlés. Ceux de la plus jeune avaient dû être récemment lavés et huilés car on voyait encore des mèches propres et brillantes, mais elle aussi semblait épuisée et une grande lassitude émanait d’elle. Le temps ne devait pas être loin où elle jouait encore et chantait avec les autres enfants, mais cette époque était bien révolue. Sa vie, c’était maintenant de ramasser du bois dans les collines et il en serait ainsi jusqu’à sa mort, avec un bref répit de temps à autre, pour la naissance d’un enfant.


Nous descendîmes tous par ce sentier. La petite ville de campagne était à plusieurs kilomètres et c’est là qu’elles allaient vendre leurs fagots pour quelques pièces, sachant qu’elles devraient recommencer le lendemain. Leur bavardage était entrecoupé de longs temps de silence. La plus jeune dit soudain à sa mère qu’elle avait faim, et celle-ci lui répondit que leur destin était de naître dans la famine et de vivre et de mourir en ayant faim. Elle constatait simplement un fait, car sa voix ne contenait nulle trace de reproche, de colère ou d’espoir. Nous continuâmes à suivre la pente de ce sentier rocailleux. Il n’y avait pas d’observateur qui les écoutait, les prenait en pitié et marchait derrière elles. Ce n’était pas son amour ou sa pitié qui lui permettait de faire partie d’elles : il était elles ; il avait cessé d’être et elles existaient. Elles n’étaient plus ces étrangères qu’il avait rencontrées sur la colline, elles faisaient partie intégrante de lui. C’étaient ses mains à lui qui maintenaient les fagots, et la sueur, la fatique intense et les mauvaises odeurs n’étaient plus leurs caractéristiques propres, qu’on pouvait partager en s’affligeant. Le temps et l’espace n’existaient plus. Nous n’avions plus en tête la moindre idée, trop fatiguées pour penser. Et si d’aventure nous pensions encore, c’était à la façon dont le bois serait vendu, c’était à la nourriture, au repos, et à l’obligation de tout recommencer le lendemain. Nos pieds ne sentaient pas les cailloux du sentier et le soleil de plomb ne brûlait pas nos têtes. Nous étions toutes deux seules à descendre ce sentier familier, à nous arrêter comme d’habitude pour boire un peu d’eau au puits et à reprendre notre route en traversant le lit desséché d’un cours d’eau presque oublié.


J. Krishnamurti Commentaires sur la vie Tome , Chapitre 44




mercredi 12 mars 2014

Dans la vie, la méditation est un acte très important.

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Dans la vie, la méditation est un acte très important. C’est peut-être celui qui a la signification la plus vaste et la plus profonde.


C’est une senteur qu’il n’est guère facile de capturer, pas plus qu’on ne peut l’acquérir au prix d’efforts et d’exercices. Un système ne peut produire que le fruit de ce qu’il propose et tout système, toute méthode reposent sur l’envie et l’avidité.


Ne pas être capable de méditer, c’est ne pas être capable de voir la lumière du soleil, les ombres foncées, les eaux étincelantes et la jeune pousse. Mais comme ils sont rares, ceux d’entre nous qui voient tout cela ! La méditation n’a rien à nous offrir. Il n’est pas question de se présenter les mains jointes pour la mendier. La méditation ne nous évite aucune douleur. Elle rend toutes choses absolument claires et simples, mais pour percevoir cette simplicité, l’esprit doit s’être libéré, sans raison ni motifs particuliers, de tout ce qu’il a pu rassembler en vue de raisons et de motifs précis. Là est toute la question de la méditation. C’est par la méditation qu’on se purifie du connu. Rechercher le connu, sous une forme ou une autre, c’est un jeu auto-illusoire, et celui qui médite devient alors le maître, l’acte simple de la méditation n’est plus. Le méditant ne peut agir que dans le domaine du connu ; or, s’il veut que l’inconnu soit, il doit cesser d’agir.


L’inconnaissable ne vous sollicite pas, et vous ne pouvez pas non plus le solliciter. Il va et vient comme le vent, et vous ne pouvez pas le capturer et l’emmagasiner pour votre bénéfice, pour votre usage personnel. L’inconnaissable n’a aucune valeur utilitaire, mais sans lui la vie est d’un vide infini.


J. Krishnamurti Commentaires sur la vie Tome 2, Chapitre 52




lundi 10 mars 2014

C’est une chose que d’imaginer et une autre que de percevoir ce qui est.

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C’est une chose que d’imaginer et une autre que de percevoir ce qui est.


C’est une chose que d’imaginer et une autre que de percevoir ce qui est, mais toutes deux sont contraignantes.


Il est simple de percevoir ce qui est, mais c’est un autre problème que d’en être libéré. Car la perception est obscurcie par des notions de jugement, de comparaison et le désir.


Percevoir sans l’interférence du censeur est extrêmement difficile. L’imagination édifie l’image du moi et la pensée fonctionne alors dans l’ombre de cette image, à l’intérieur de ses limites. C’est de cette mise en concept du moi que naît le conflit entre ce qui est et ce qui devrait être, le conflit de la dualité.


La perception du fait et l’idée qu’on a du fait sont deux états très différents et seul l’esprit qui n’est pas limité par les opinions et les valeurs comparatives a la capacité de percevoir ce qui est vrai.


J. Krishnamurti Commentaires sur la vie Tome 2, Chapitre 50




dimanche 9 mars 2014

Le fait de ressentir un sentiment et celui de lui donner un nom sont deux actes pratiquement simultanés, n’est-ce pas ?

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Le fait de ressentir un sentiment et celui de lui donner un nom sont deux actes pratiquement simultanés, n’est-ce pas ? Peut-il exister un intervalle entre le moment où l’on éprouve et celui où l’on nomme ce que l’on a éprouvé ?


Si l’on fait l’expérience directe de cet intervalle, on découvre que le penseur cesse d’être en tant qu’entité séparée et distincte de la pensée. Le processus de la verbalisation fait partie du moi, cette entité qui est jalouse et qui tente de masquer sa jalousie. Si vous comprenez réellement cette vérité, la peur cesse.


Le fait de nommer a un effet psychologique et physiologique. Et ce n’est que lorsqu’on ne nomme pas qu’il est possible d’avoir parfaitement conscience de ce que l’on appelle le vide de la solitude. Car alors l’esprit ne se sépare pas de ce qui est.


J. Krishnamurti Commentaires sur la vie Tome 2, Chapitre 53